La corruption, un terreau fertile pour l’insécurité
Avec la crise sécuritaire, le gouvernement burkinabè a fait de l’anti-terrorisme sa principale priorité. Mais pour espérer des résultats meilleurs, un accent particulier devrait être mis sur la lutte contre la corruption.
Depuis 2015, le Burkina Faso est confronté à une crise d’une ampleur inédite. Pour faire face à la situation, le gouvernement a placé au cœur de son action la lutte contre le terrorisme. Ce choix s’est matérialisé au fil des années par des dépenses accrues en matière de défense et de sécurité.
Alors qu’ils représentaient 10,65% du budget global en 2017, les budgets de ces deux secteurs ont progressivement évolué pour atteindre la barre de 28,42% en 2023. Et d’après la loi de finances pour l’exécution du budget de l’État, exercice 2024, ils devraient représenter désormais 29,49%.
Si l’ambition clairement affichée reste la reconquête de l’intégrité territoriale, se pose de plus en plus la question de l’efficacité et de l’efficience de la dépense publique, notamment dans un environnement gangrené par la corruption.
D’après l’Indice de Perception de la Corruption (IPC) de Transparency International (TI), le niveau de corruption demeure préoccupant dans le pays. Sur les quatre dernières années, la note du Burkina Faso a oscillé entre 40 et 42 points sur 100, bien loin de la moyenne acceptable de 50. Pire, après avoir stagné à 42 points de 2021 à 2022, le pays a connu un nouveau recul en 2023, avec 41 points au compteur.
Outre les données de Transparency international, le rapport 2021 sur l’état de la corruption du REN-LAC, publié en décembre 2022, indique une hausse continue du phénomène depuis 2016. Selon l’Indice synthétique de Perception de la Corruption (ISPC) le niveau de corruption a connu une hausse substantielle de 30 points, passant de 41 points en 2016 à 71 points en 2021. L’ISPC mesure la perception des Burkinabè sur la fréquence et l’évolution du phénomène de la corruption.
Parmi les secteurs les plus indexés figurent aux premiers rangs plusieurs entités des Forces de Défense et de Sécurité (FDS) engagées dans la lutte contre le terrorisme, telles que la Police nationale, la Gendarmerie nationale et la Douane.
Lien consubstantiel
Parallèlement, on constate une intensification et une diversification des activités terroristes au cours de la même période. Avec 1 135 morts et un indice de 8,5 points sur 10, le Burkina Faso occupe en 2022, selon le Global Terrorism Index, le 2ème rang des pays les plus touchés par le terrorisme dans le monde, derrière l’Afghanistan.
Un constat qui a conduit le Réseau national de Lutte anti-corruption (REN-LAC) à conclure à un lien consubstantiel entre corruption et insécurité. Dans un mémorandum d’une vingtaine de pages transmis au Chef de l’État en février 2023, l’organisation note : « La corruption fait partie d’un ensemble d’éléments multidimensionnels à l’origine du terrorisme et de la criminalité transfrontalière dans la mesure où les organisations terroristes et autres criminels profitent des nombreux dysfonctionnements liés à la corruption dans certaines institutions telles que l’Armée, la Police et la Justice, piliers de la sureté de l’État et de l’État de droit, pour prospérer et mener leurs activités criminelles telles que les contrebandes de carburant, d’or, d’armes, de drogue, de cigarette voire de trafics humains. »
Le Réseau s’appuie sur deux exemples concrets pour étayer son argumentaire. En premier lieu, le trafic de carburant pour lequel des douaniers et des gendarmes ont été jugés et condamnés en 2022. Ce trafic aurait fait passer plus de 3 millions de litres de contrebande entre 2019 et 2021, avec des flottes de camions transportant jusqu’à 30 000 litres par voyage. En second lieu, le trafic de cigarettes ayant mis en cause un homme d’affaires burkinabè présenté comme une des figures majeures de ce commerce illicite dans la sous-région et un associé de longue date des réseaux armés et criminels du septentrion africain.
Pour Abdoul Karim Saïdou, politiste et enseignant-chercheur à l’Université Thomas Sankara, « En plus de jeter un discrédit sur l’État, la corruption engendre une instabilité politique et institutionnelle qui favorise l’expansion des groupes armées terroristes et leurs divers trafics ». Argument partagé par Valérie Rouamba-Ouédraogo, sociologue et maîtresse de conférences à l’Université Joseph Ki-Zerbo : « L’absence de réponse aux besoins primaires des populations, conjuguée à des facteurs tels que la corruption généralisée et l’absence de sécurité et de justice, est exploitée par des groupes armés qui offrent parfois des rémunérations ou des services à la population en lieu et place d’un État quasi absent dans certaines situations. »
Double défi
En détruisant la capacité des institutions républicaines à assumer leur rôle régalien, la corruption a des répercussions négatives sur la lutte contre le terrorisme. La preuve en est qu’en dépit de la forte augmentation des budgets de la défense et de la sécurité, l’État peine à enrayer les attaques. Dans le même temps, émergent des cas d’allégations de mauvaises exécutions de marchés publics dans le secteur de la défense, de surfacturations, de détournements de primes de soldats et de Volontaires pour la défense de la patrie, d’enrichissement illicite de responsables militaires, etc. non encore élucidés.
Le chef de l’État lui-même a pointé du doigt, en octobre 2022, « l’embourgeoisement » de la hiérarchie militaire dont certains sont devenus des « milliardaires » pendant que des soldats meurent au front. Cependant plus d’un an après cette déclaration, aucune action concrète n’a été menée contre ces « militaires bourgeois ».
Une situation que regrette Abdoul Karim Saïdou. Selon lui, la transition gagnerait à élucider toutes les allégations de corruption y compris celles touchant les secteurs de la défense et de la sécurité, d’autant que du point de vue de la perception citoyenne, ses dirigeants apparaissent intègres. « Ce serait un signal fort dans la dynamique de faire face au double défi de la lutte contre la corruption et l’insécurité », ajoute le REN-LAC.
En attendant le rapport d’audit de l’Armée effectué par l’Autorité supérieure de Contrôle d’État et de Lutte contre la corruption (ASCE-LC), dont les résultats avaient été annoncés pour 2023, certains acteurs plaident pour un renforcement des mécanismes de transparence et de redevabilité dans les secteurs de la défense et de la sécurité. Mesure qui devrait s’accompagner d’une nécessaire clarification du champ d’application du secret-défense souvent invoqué abusivement par les autorités militaires pour limiter le contrôle de leur gestion.
Rodrigue Arnaud Tagnan
Journaliste
Consultant