Le Burkina Faso a une histoire politique très mouvementée (Kaboré, 2002). Elle est faite de participation conventionnelle comme la participation aux processus électoraux et de participations non conventionnelles comme les manifestions politiques spontanées, les mouvements sociaux ayant conduit à des gains politiques comme les insurrections populaires en 1966 et 2014 et ses réformes institutionnelles (Chouli, 2014 ; Chouli 2018), des coups d’Etats troublant l’ordre constitutionnel et occasionnant l’instabilité institutionnelle et politique. La participation non conventionnelle est devenue monnaie courante ces dernières années malgré l’existence de cadres d’expressions et de dialogues institutionnalisés. Elle est le symptôme d’un faible enracinement de la culture démocratique, du constitutionnalisme et est la manifestation du rejet de la mauvaise gouvernance. C’est au regard de cela que la gouvernance démocratique s’impose comme une nécessité. Alors qu’est-ce qui justifie la thèse de la nécessité de la gouvernance démocratique dans un pays comme le Burkina Faso et comment y parvenir ? La suite des propos s’attelle à défendre la thèse de la nécessité de la gouvernance démocratique contrairement au narratif contre la démocratie qui a pris de l’ampleur dans notre pays depuis le coup d’Etat de septembre. Et une esquisse de piste pour cheminer vers une gouvernance démocratique.
Cerner les faits de mauvaise gouvernance et ses conséquences
La mauvaise gouvernance dans notre pays depuis les indépendances se traduit par une patrimonialisation de l’Etat et son corollaire de prébendalisme, de clientélisme et d’absence de reddition des comptes, et par la volonté de museler les voix discordantes etc. En effet, l’une des variables déterminantes de la gouvernance dans notre pays, est la patrimonialisation de l’Etat. Cette patrimonialisation se traduit par la confusion du public et du privé ; une confusion de rôles entre les acteurs politiques et les acteurs économiques dans la captation des ressources publiques. L’Etat apparait alors comme le bien de certains de ses agents qui le grugent. Des acteurs politiques utilisent leur position dans l’appareil d’Etat pour en faire des prébendes. Dans les faits, cette posture politique débute au lendemain des indépendances sous le Président Maurice Yaméogo et se poursuit avec des intensités différentes jusqu’à nos jours. Celui-ci dans l’euphorie de sa position comme président de la République nouvellement indépendante utilise les biens de l’Etat pour s’offrir le luxe (construction d’un palais dans son village, un mariage couteux etc) ( Guirma, 1991). Cette gabegie occasionne un déficit budgétaire (Lamizana, 1999). Elle se poursuit sous les différents régimes successifs avec des intensités différentes. Si l’Etat apparaît comme un bien personnel alors la reddition des comptes ne peut pas être de mise. Ce qui explique la gestion opaque au sein des institutions publiques.
De même, la patrimonialisation de l’Etat rend le développement géographique des infrastructures publiques tributaires du poids des acteurs dans l’appareil d’Etat. Ce qui conduit à un développement inégal des régions et un inégal accès aux services sociaux publics. Il y a là, une forme d’exclusion qui nourrit le sentiment d’abandon de l’Etat central. Et ce sentiment occasionne les replis identitaires et empêche la construction de l’Eta-nation. Et ce que nous vivons actuellement comme crise politique en est l’expression. Au regard de ce qui précède, une gouvernance démocratique dans notre pays s’avère-t-elle pas nécessaire ?
De la nécessité de la gouvernance démocratique
Il sied ici de déconstruire l’idée centrale du narratif anti-démocratie selon laquelle la démocratie est un système imposé par l’Occident qui ne serait pas adapté à l’Afrique. Certains défenseurs de cette thèse pointent du doigt le discours de la Baule comme la date historique de l’imposition de ce système politique par la France. S’il est vrai que le discours de la Baule exhortait les pays africains à l’ouverture démocratique, il ne peut être plus déterminant dans le processus de démocratisation en Afrique que les luttes de la société civile et des partis politiques de l’opposition de la décennie 1980-1990 qui ont appelé à une ouverture au système démocratique (Loada, & Wealthy, 2014).
Faire du discours de la Baule, le point de départ de la démocratisation en Afrique est un mépris vis-à-vis de la lutte menée par les organisations de la société civile en Afrique, c’est ignorer les marches contre la dictature de Moussa Traoré au Mali , les grèves et manifestations des organisations estudiantines en Côte d’Ivoire pour le multipartisme à la fin de la décennie 1990 et la lutte pour la défense des droits humains comme le Mouvement Burkinabè des Droits de l’Homme et des Peuples au Burkina Faso er celle de Norbert Zongo. De même, dire que l’Afrique est incapable d’asseoir une mode de gouvernance démocratique au regard de sa culture est une autoflagellation ; c’est avoir une perception figée de l’identité culturelle. Comme le notait Joseph Ki-Zerbo, l’identité culturelle n’est pas une structure fossile ou statique. Elle est à faire et à refaire dans une dynamique de conservation/dépassement à partir du passé et le futur auquel un peuple espère (Ki-Zerbo, 2007 : 62-72).
S’évertuer à forger la culture démocratique, fondée sur des valeurs universelles, peut faire partie du projet culturel burkinabé surtout que le Burkina Faso a une soixantaine d’ethnie et le système de gouvernance dans ces regroupements sociaux variait d’un point à l’autre. C’est dans le carcan de la gouvernance démocratique comme projet que doit se faire la consolidation de notre Etat-nation qui est actuellement mis à rude épreuve. En effet, en dehors de l’égalité des citoyens, la justice distributive, le respect des libertés, le principe de la participation et de la transparence, principes sacro-saints de la démocratie (Dahl, 2001), le projet de vivre-ensemble serait une vue de l’esprit. Ainsi au nom des principes sus cités, la démocratie permet que la république « res publica » « chose commune » soit le « patrimoine » de tous les citoyens et que la distribution des ressources soit faite de façon équitable et dans la transparence. Cela évite toute velléité insurrectionnelle d’un groupe social à l’intérieur de l’Etat et renforce la volonté de vivre ensemble.
Piste pour une gouvernance démocratique
L’arbre ne doit pas cacher la forêt dit un dicton Burkinabè. La déception provoquée par la version formelle de la démocratie axée principalement sur l’organisation des élections de façon permanente et l’établissement d’une architecture institutionnelle qui institue une division formelle des pouvoirs tout en éludant l’aspect substantiel telle que la qualité du processus électoral, la justice distributive, la participation effective des citoyens à la gestion de la « res publica » ne doit pas occasionner une haine de la démocratie comme idéale. Certes « le fait que la démocratie soit riche d’une si longue histoire a contribué à entretenir la confusion et le désaccord, dans la mesure où le terme a eu des significations différentes pour des peuples différents, à des époques et en des lieux différents » (Dahl, 2001 : 3). Cependant, dans le cas burkinabé, nous devons avoir l’ingéniosité politique de tresser le futur sur la voie d’une gouvernance démocratique à partir des échecs de notre histoire politique tout en s’inscrivant sur les dynamiques suivantes :
- La séparation des pouvoirs et l’existence d’un contre-pouvoir. En effet, les limites des frontières du pouvoir exécutif, législatif, et judiciaire doivent être clairement définies au sein d’un Etat moderne. Cet impératif est un critère important pour juger du caractère démocratique d’une gouvernance. Cette séparation ne doit pas occasionner des concurrences corporatistes et ou des guerres de personnes comme on l’a bien vu sous Lamizana entre Gerard Kango Ouédraogo et Joseph Ouédraogo. Mais leurs actions doivent s’inscrire dans la quête du bien-être des citoyens et de l’idéal démocratique. De même, la société civile doit jouer à la fois le rôle de contre-pouvoir et de partenaire dans la co-production des politiques publiques. Surtout avec une société civile spécialisée qui fait souvent le poids de la contre-expertise et par ricochet, de contre-pouvoir comme cela a été le cas dans l’affaire du déclassement de la forêt de Kua. Cette implication doit se faire même dans les questions jugées sensibles ou les domaines comme la sécurité. Le forum national sur la sécurité tenu en 2017 et la rédaction de la politique nationale de la sécurité sont un bel exemple.
- Les élections comme mode de dévolution du pouvoir. Ce mode de dévolution du pouvoir permet une concurrence programmatique. Contrairement à ce qu’on pourrait penser, les questions sociales structurent les agendas des acteurs politiques en concurrence lors des élections (Saidou & Bertrand, 2022). Par exemple la question sécuritaire a figuré de façon prioritaire dans les programmes des candidats au Burkina Faso, chacun des candidats s’est évertué à rendre explicite son offre sur la question. Cependant, au-delà de la forme, il faut aussi tenir compte du fond à savoir la qualité du processus électoral en établissement les conditions de corruption électorale et les sanctions y afférant. La qualité du processus électoral passe par une compréhension des enjeux électoraux et la culture démocratique. Ainsi, « la démocratie ne serait pas viable si l’ensemble des citoyens ne possède pas un minimum de connaissance et de culture politique. Le suffrage universel, par exemple, est privé de toute signification si la masse des citoyens ne comprend pas les problèmes de fonds soumis au vote »( Sylla, 2006 : 89-90).
- La formation de la jeunesse à la culture démocratique. Une participation politique réelle est conditionnée par la compréhension des enjeux politiques. Ce qui suppose un droit et devoir à la formation et à l’information. C’est cet accès à l’information qui donne une consistance au contrôle et aux choix des citoyens. Et les sources d’information doivent être diversifiées ;
- Le principe d’inclusion. Contrairement à ce qu’on pourrait pensée, la démocratie n’est pas le diktat de la majorité. La majorité issue des élections doit prendre en compte les préoccupations de la supposée minorité par des cadres de concertation. Ce cadre de concertation peut être un correctif de la démocratie participative. Il n’est pas rare que des citoyens ne se reconnaissent plus dans le choix de leurs représentants qui décident de faire des coalitions contre-nature ou de changer de parti lors de leur mandat électif.
En conclusion, nous affirmons que notre pays gagnerait, au regard de sa configuration sociologique, à se forger malgré les difficultés une culture de la gouvernance démocratique. Nous devons aspirer à cet idéal à partir de ces principes sacro-saints. Pour ne pas tomber dans un fétichisme d’une quelconque variante de la démocratie, il serait judicieux de rappeler que « il n’existe pas de modèle unique et universel de la démocratie. Il existe tout au moins des valeurs universelles ou universalisables de la démocratie. La démocratie n’est jamais réalisée complètement »( Sylla, 2006 : 100).
Compaoré Windlamita Marino
Politiste, Chargé de cours de philosophie et d’anthropologie juridique à l’université Libre du Burkina
Références bibliographiques
Chouli, Lila, 2014, « Les mouvements sociaux et la recherche d’alternatives au Burkina Faso » in Ndongo Samba Sylla (sous la direction), Les mouvements sociaux en Afrique de l’Ouest, Paris, Fondation Rosa Luxembourg/L’Harmattan, p.239-275.
Chouli, Lila, 2018, Sur l’insurrection populaire et ses suites au Burkina Faso, Dakar, L’Harmattan Sénégal.
Dahl, Robert, [1998] 2001, De la démocratie, Traduit de l’américain de Monique Berry, Paris, Nouveaux Horizons,
Guirma, Frédéric , 1991, Comment perdre le pouvoir ? Le cas de Maurice Yaméogo. Paris. Editions Chaka.
Kaboré, Billa Roger, 2002, Histoires politique du Burkina Faso 1919-2000, Paris, L’Harmattan
Ki-Zerbo, 2007, Réflexion sur le développement, Dakar, Panafrika,
Lamizana, Aboubacar Sangoulé,1999, Sur la brèche, trente ans durant : mémoires (tome II). Paris. Jaguar
Lassiné, Sylla, 2006, Existe-t-il-un modèle universel de démocratie ?, Abidjan, Les Editions du CERAP,
Loada, Augustin & Wealthy, J. (dir) (2014). Transitions démocratiques en Afrique de l’Ouest : processus constitutionnels, société civile et institutions démocratiques. Paris. L’Harmattan.
Médard, Jean-François, 1990, L’Etat patrimonialisé, Politique africaine, n°39, p.25-36
Saidou, Abdoul Karim et Bertrand, Aloyse, 2022, « Security as a campaign issue : programmatic mobilization in Burkina Faso’s elections ». Democratization, n°29, 8, p.1-20.