Alors que les femmes sont plus de la moitié de la population Burkinabè, leurs voix et leurs vécus restent assez minoritaires dans l’espace public, soit parceque méconnus ou tout simplement mal rapportés. Bassératou Kindo, journaliste et promotrice d’un média axé sur les femmes, tente de mettre sous les projecteurs ces femmes qui ont des histoires inspirantes à partager.
Je m’appelle Bassératou Kindo. Je suis journaliste, promotrice du media MoussoNews. Je suis également contributrice bénévole sur Wikipédia qui l’encyclopédie mondiale et depuis 2020 on travaille à écrire sur le Burkina par nous-mêmes et pour nous-mêmes.
Pourquoi avoir choisi cette ligne éditoriale pour MoussoNews?
La ligne éditoriale orientée sur le traitement de l’information sur les femmes était un besoin et je pense que ça sera toujours un besoin. Par exemple sur les « unes » des journaux, du lundi au vendredi, on voit très peu de femmes.
C’est aussi assez rare d’entendre la voix féminine dans les médias et d’y lire l’expression féminine alors que la femme a du potentiel. La femme aussi apporte sa part dans le développement de nos nations. Mais qu’est-ce qu’il faut faire ? Il faut les encourager déjà à s’exprimer. Et MoussoNews s’est donné pour mission d’aller vers les femmes, de les convaincre pour qu’elles puissent aussi s’exprimer.
Quel regard portez-vous justement sur la façon dont la femme burkinabè est médiatisée ?
Je dirai que la situation est assez mitigée. C’est assez rare de voir des informations sur les femmes. Quand on en trouve, elles concernent les [femmes] autorités ou quelques femmes influentes alors que si l’on considère la population burkinabè, nous les femmes, nous sommes 52% contre 48% d’hommes.
Ces 52 % constituent une vraie force dans le développement de la nation. Mais les médias ne s’intéressent pas trop à ces femmes ou à leurs activités. Non pas toujours parce que les médias ne le veulent pas, mais plutot parce qu’ils n’ont peut-être pas l’information, c’est-à-dire qu’ils ne savent pas qu’à tel endroit il y a une femme qui a accompli ceci ou cela.
Mais tout cela c’est aussi parce que les femmes même ne parlent pas. Alors que les hommes osent parler, s’exprimer. Ils osent aller au devant de la scène. Avec les femmes il faut beaucoup d’arguments pour les convaincre afin qu’elles puissent sortir de l’ombre ou de leurs conforts pour pouvoir s’exprimer.
Je dirai alors que la médiatisation de l’information sur les femmes est relativement basse et j’espère que d’autres média comme MoussoNews seront créés pour donner plus de force aux voix féminines dans les médias.
Pensez-vous que les médias traitent correctement les conditions des femmes au Burkina ?
Je pense que les médias ne traitent pas correctement la condition de la femme au Burkina, parce que c’est une cible qui n’est pas assez connue ou visible. Et même celle qui sont visibles, c’est difficile de rentrer en profondeur dans leur histoire, dans leur récit. Ce qui fait qu’un journal peut faire toute une semaine sans parler du vécu utile ou impactant d’une femme. Même dans les périodiques qui ont plus de temps pour traiter leurs sujets, on verra rarement un storytelling sur une femme qui a apporte sa contribution à la communauté.
Je pense que les médias ne traitent pas en profondeur les sujets de femme. Et même nous à MoussoNews, on est souvent confronté à cette difficulté, parce que malgré notre volonté elles disent non. « Je ne veux pas qu’on me connaisse. Je ne veux pas parler dans les médias, je ne veux pas que les gens connaissent mon histoire », etc.Ce qui fait que l’histoire est là, elle peut-être belle mais si elle n’est pas accessible aux journalistes, c’est difficile.
Donc l’un des objectifs de MoussoNews c’est de justement convaincre les femmes et leurs dire qu’on peut parler de son histoire qui impacte sans pour autant étaler sa vie, sans forcément revenir sur ce qu’on ne veut pas public.
Quel est à ce propos, le bénéfice que vous souhaitez tirer en racontant toutes ces histoires et ces expériences de femmes qui sont méconnues et inconnues ?
Ce serait très bénéfique de parler des histoires vécues par les femmes parce qu’une histoire racontée peut impacter plusieurs autres femmes qui vivent dans des localités reculées.
Les femmes sont plus nombreuses que les hommes et elles sont les plus exposées à plusieurs aléas de la vie. La vie elle-même n’étant parfois pas tendre avec les femmes. Les femmes n’ont toujours pas les mêmes chances que les hommes surtout lorsque l’on prend les éléments comme le physique, les opportunités, etc.
Raconter l’histoire d’une femme qui a su s’imposer malgré ces difficultés peut impacter celles qui vivent des situations difficiles et qui pensent que l’espoir est perdu. Pour moi, il faut véritablement raconter ces histoires inspirantes, que ce soit dans les radios, télévisions ou la presse en ligne. Mais comme je l’ai dit, le véritable défi c’est d’amener ces femmes à parler de leurs histoires.
Comment amenez-vous ces femmes à s’ouvrir et à accepter de raconter leurs histoires ?
A Moussonews, il y a des mots tels que « vulnérabilité », « pauvreté » qu’on essaie de bannir parce que les gens ont tendance à dire que la pauvreté a un visage féminin.
Quand on parle de « difficultés », nous, nous les voyons comme des challenges à relever. On ne parle de vulnérabilité pare qu’on se dit que tout le monde est vulnérable. Pour convaincre celles qui hésitent à nous parler de leurs histoires, nous contons toujours les histoires de celles qui ont déjà accepté de nous raconter les leurs.
A Moussonews, les articles qui ont plus de visibilité sont ceux qui racontent des histoires de femmes qui ont commencé d’un point A, se sont arrêtées à un point C pour souffler et reprendre à un point D. Ce sont des histoires impactantes qui incitent parfois d’autres femmes à nous approcher pour partager leur vie. Nous échangeons aussi avec elles sur les aspects de leurs histoires qu’elles ne veulent pas exposer au public.
Y a-t-il une histoire d’une femme qui vous a impactée et dont vous voulez partager avec nous ?
Récemment on a fait un article sur Saran Maïga qui est une personne de petite taille, qui dit avoir connu toutes les difficultés qu’un handicapé peut connaître. Elle a été exclue, rejetté depuis l’école primaire et dans la société, mais elle ne s’est pas laissée faire. Malgré tout ça elle s’est débrouillée elle a mis en place une association, elle s’est formée dans la fabrication de foyers améliorés. Elle est aujourd’hui une femme de référence, une femme leader. Cette histoire m’a beaucoup marquée, ça donne le courage, ça motive, ça donne cette motivation qui montre qu’on peut être leader, qu’on peut être handicapé visuel ou moteur mais si on décide de se battre on peut se faire une place.
Avez-vous des hommes qui travaillent avec vous dans votre équipe ?
A Moussonews, nous travaillons avec des collaborateurs masculins. Quand vous prenez par exemple nos éditos, c’est un homme qui les écrit même si nous lui donnons le sujet et précisons l’angle à aborder.
Il y a des hommes qui travaillent avec nous mais en back office. La vision de Moussonews est non seulement d’impacter mais également d’encourager les jeunes filles à la pratique du métier de journaliste.
Notre leitmotiv c’est « par les femmes, pour les femmes et avec les hommes ».
Vous disiez que vous êtes aussi engagés dans un projet qui s’appelle Wiki gap, pouvez-vous expliquer ce que c’est ?
Wiki gap c’est une campagne de référencement des profils de femmes sur Wikipédia. L’objectif est de réduire justement le fossé numérique entre les hommes et les femmes. Au niveau du Burkina on essaie, selon notre disponibilité de produire des articles sur le Burkina, sur les Burkinabè mais aussi sur les monuments. Donc sur le Burkina de façon générale et ses hommes.
Pendant la campagne, qui dure deux ou trois semaines, on essaie d’identifier les profils des femmes référençables, on écrit les articles selon les principes et les critères d’éligibilité de Wikipédia et on met les profils de ces femmes sur le Wikipédia.
C’est parti du constat qu’au Burkina on a moins de 100 femmes qui sont référencées sur Wikipédia alors que quand on prend l’histoire du pays, les femmes ont été là mais il n’y a pas eu d’écrits sur elles. C’est aussi cela qui fait la complexité du référencement sur les femmes parce qu’elles ne s’expriment pas dans les médias, alors que l’un des outils qui permet ce référencement ce sont les sources dans les médias Et les femmes n’y sont pas donc c’est difficile. Mais depuis qu’on a lancé wiki gap en 2020 au Burkina, chaque année on arrive quand même à mettre au moins 30 femmes sur Wikipédia et c’est un exploit.
Comment vous arrivez à collecter ces sources pour le référencement ?
Au début on partait vers les femmes. On leur demandait leurs CVs, leurs biographies, et parfois on les interviewe même pour qu’elles nous parlent un peu de leur parcours.
Ensuite on fait un traitement. Le travail en amont consiste à chercher les sources soit dans les médias, soit dans les livres. Pour que ça puisse réussir, il faut qu’ily ai des traces de ces femmes dans les médias. Viennent ensuite les sources secondaires qui sont les livres. Mais même là, il y a très peu de femmes dont on a parlé dans les livres. Tout cela constitue vraiment la rareté des sources en ce qui concerne le référencement.
C’est donc vous qui créez les ressources…
On crée de la ressource, c’est aussi l’une des missions de Mousso news.
Quand on prend le profil de Bintou Diallo, en 2020, on a voulu la référencer, mais il n’y avait pas beaucoup de sources. Qu’est-ce que Mousso news a fait ? Mousso news a commencé à suivre Bintou Diallo pour écrire des articles sur elle. Quand elle donne une conférence, ou qu’elle est sur un panel on va écrire jusqu’à avoir au moins 5 sources. Et en 2021 on a pu la référencer malgré les discussions et objections sur l’article que nous avons proposé. Le fait que les sources soient récentes ne respectait pas trop les principes d’éligibilité de Wikipédia.
L’article a été mis en discussion mais après les administrateurs de Wikipédia ont dit que c’est un très bon article et aujourd’hui ça fait parti de nos meilleurs articles sur Wikipédia.
Donc ce que Mousso news fait, c’est d’identifier ces femmes qui impactent, même celles qui n’impactent pas tant qu’elles ont une histoire à raconter, on écoute toutes ces femmes en vue de pouvoir les référencer dans une année, dans deux ans sur Wikipédia parce qu’il le faut.
Quel est la vision de ce combat que vous menez ?
La vision d’écrire sur le Burkina ou sur les femmes, c’est d’écrire d’abord pour nous-mêmes.
La plupart des articles sur Wikipédia ont été écrits par des occidentaux, même s’il y a aussi des burkinabè, des camerounais et des ivoiriens qui écrivent.
Sur le Burkina, une grande partie des articles ont été rédigés par les autres, pendant que nous sommes là, premiers témoins et acteurs de notre histoire.
Donc parfois sur Wikipédia on peut aller trouver des articles qui ne sont pas du tout vrai. Ces derniers temps avec les attaques terroristes, on découvre des choses qui ne sont pas du tout exactes et quelqu’un qui ne vit pas au Burkina, qui lit ça peut avoir une idée très noire, très arrêtée sur le pays.
C’est pourquoi au niveau de Mousso news et même de la communauté qu’on est en train de mettre en place, on essaie de toujours dire aux gens il faut qu’on commence à écrire sur nous, par nous même pour que les gens comprennent que le Burkina c’est un pays présentable, que le Burkina c’est un pays où il y a des hommes et des femmes de qualité.
Prenez cet autre exemple. Quand on tape sur google « Rwanda », les premières images sont belles : de jolis paysages, de belles personnes. Mais quand on tape « Burkina Faso » sur internet, c’est le terroriste et la faim.
C’est peut-être aussi parce que c’est notre réalité ?
C’est ce que nous vivons mais il faut travailler à influer sur ça. On ne va pas rester éternellement dans le terrorisme, un jour ça va passer et on a vu des pays qui ont l’on vécu.
On a compris qu’il y a eu un passé difficile mais la nouvelle génération doit pouvoir regarder ce beau visage du pays des femmes et des hommes intègres.
C’est quoi donc, votre rêve, vous en tant que femme, journaliste burkinabè, pour votre pays qui traverse une situation très difficile ?
Moi mon rêve déjà est que la paix revienne, qu’on puisse quitter Ouagadougou un soir à 19 heures pour se rendre à Dori ou Djibo, prendre la route jusqu’à Falangountou, à Kantchari,
L’autre chose c’est que les femmes puissent vivre pleinement leur bien être physique et morale. Je dis ça parce que je suis avec les femmes parfois quand on écoute les histoires, souvent on se demande pourquoi « je suis née femme », et on a parfois l’impression que tout le mal est imputé à la femme.
Je ne généralise pas mais y a des histoires qui donnent vraiment froid dans le dos. Si la femme est épanouie, ça va forcément impacter sur la société parce que c’est elle garde la maison, c’est elle qui garde les enfants, et même quand elle est au boulot, si elle descend elles vont forcément s’occuper de la famille. Tout ça passe vraiment par le bien être de la femme. Quand elle est bien dans son corps, elle est bien dans son esprit, ça peut impacter positivement et utilement ses proches et sa communauté.
Fasotopia