Sans un seul diplôme en poche, sans avoir fait une école d’agronomie ou d’environnement, Yacouba Sawadogo a su faire de sa vie une université en matière de défense de l’environnement, une grande école qui nous enseigne. En effet, la vie de Yacouba Sawadogo nous en enseigne ce que doit être l’engagement pour la défense de l’environnement. Dans ces lignes qui suivent, nous nous sommes prêtés à l’exercice, ô combien difficile, de faire une synthèse de ce que Yacouba Sawadogo laisse en héritage aux amoureux de la nature.
Introduction
Connu pour ses efforts en matière de conservation des sols et de restauration de la fertilité des terres, Yacouba Sawadogo a définitivement ranger sa daba depuis le 3 décembre 2023. « L’homme qui arrête le désert » laisse comme héritage à la postérité de nombreuses techniques agroforestières innovantes, telles que le zaï, pour lutter contre la désertification et améliorer les pratiques agricoles en zone sahélienne. Son travail a attiré l’attention internationale en raison de son impact positif sur l’environnement et la sécurité alimentaire. Cette reconnaissance sera couronnée en 2018 par le Right Livelihood Award 2018, plus connu sous le nom de prix Nobel alternatif. Au-delà de ces techniques promues et enseignées, plusieurs autres leçons peuvent être tirées de la vie de Yacouba.
L’engagement comme don de soi
Le vieux de Gourga nous fait savoir qu’il ne peut y avoir de l’engagement avec réserve. Avec lui on comprend que l’engagement c’est un sacerdoce. Un sacerdoce total. Un don de soi. De 1980, année de son retour à la terre, jusqu’à 2023, année de sa mort, la vie de Yacouba n’a été qu’au service de sa terre natale de Gourga. Il l’a aidée à survivre au désert. Il l’a aidé à être résiliente face à la désertification. Il a travaillé sans répit. Par la persévérance, il a fini par faire sortir une forêt dense des terres arides de Ouahigouya. Face au scepticisme des sachants de l’époque, face au pessimisme des autres paysans de son village, Yacouba, par sa « folie », a montré que seule l’action peut changer le monde. L’action sur le long terme. La forêt de Gourga, c’est l’héritage de toute une vie. Une vie dédiée exclusivement à l’environnement. La forêt de Gourga, c’est le témoignage d’une vie consacrée à l’autre. L’autre vu comme ces nombreux arbres utilitaires auxquels il a donné vie. L’autre vu comme ces animaux sauvages, jadis à la merci de la soif et des chasseurs, qui ont trouvé refuge dans la forêt. L’autre vu comme ces nombreux agriculteurs qui ont pu à nouveau pratiquer l’agriculture autour de la forêt. Enfin, l’autre vu comme le climat, car la forêt Gourga a un potentiel important en termes de séquestration de carbone.
Faire sa part et ne rien attendre en retour
En débutant son aventure de restauration des ressources forestières dans son village, Yacouba était loin d’imaginer que son projet de vie allait être l’opérationnalisation de plusieurs politiques publiques. Restauration des terres dégradées, protection des ressources naturelles et de la biodiversité, accroissement des stocks de carbone, promotion des produits forestiers non ligneux, lutte contre l’érosion, éducation environnementale, promotion de médecine traditionnelle, … ce sont autant d’axes de politiques publiques couverts par les actions de Yacouba dans sa forêt d’une quinzaine d’hectares. Sans avoir attendu de financements à hauteur de million, voire de milliard, il a fait sa part. Sans attendre les nombreux renforcements de capacités réclamés par la paysannerie, il a fait sa part. Sans maitriser la langue de Molière, il a fait sa part et s’est engagé dans la transmission de son savoir. Pour dire que la vie de Yacouba nous enseigne de compter sur nous-même. Sur nos propres capacités. D’avoir toujours un idéal à atteindre tout en visant l’utilité publique de son action. Yacouba Sawadogo a réussi à stopper l’avancée du désert dans l’un des pays les plus arides du monde, et cela, sans réclamer un salaire ou une quelconque rétribution. Au contraire, il a eu pour salaire la destruction d’une partie de sa forêt par des prédateurs fonciers et la remise en cause de son droit de propriété sur sa forêt. Cependant, malgré l’adversité, Yacouba n’a jamais connu le découragement. Il a continué a réalisé ses zaï, ses cordons pierreux, ses demi-lunes et d’autres pratiques de conservation des eaux et des sols et défenses restauration des sols (CES/DRS) dont il en avait le secret. Pour dire, que son objectif n’a jamais été de « se faire voir » mais plutôt de bâtir. Bâtir pour la postérité. En effet, Yacouba, face à l’avancée du désert, comme le colibri, a fait sa part. Sans se plaindre. Sans s’attarder sur l’adversité et les blocages. Surtout sans rien attendre en retour. C’est ce type d’engagement qu’il faut face a l’urgence climatique. Fuir les calculs d’intérêts et agir utile.
La nature sait toujours récompenser ses justes protecteurs
L’une des plus importantes leçons à tirer de la riche vie de Yacouba Sawadogo est bien celle de faire corps avec la nature. D’être un défenseur sincère de l’environnement. En dédiant sa vie à la protection de la nature, le vieux de Gourga était loin d’imaginer que cet engagement désintéressé lui ouvrirait les portes d’une renommée internationale avec à la clé, de nombreuses reconnaissances et voyages internationaux. L’aura internationale de Yacouba s’est bâtie autour de son engagement réel pour la sauvegarde de l’environnement. C’est là un message à tous les défenseurs de l’environnement. S’engager pour mère nature ne doit nullement se faire avec pour visée d’être sous les projecteurs. C’est un engagement qui se veut discret et efficace. Ce sont les résultats concrets qui doivent mettre l’intéressé au centre des attentions et non l’inverse. C’est bien le cas de Yacouba. Les résultats concrets de son action ont parlé pour lui. Yacouba n’est pas mort dans l’anonymat car il a choisi de mener le bon combat. Le combat pour mère nature.
Conclusion
On peut retenir Yacouba a ouvert une voie depuis le pays des Hommes intègres. Une voie nouvelle dans la lutte contre la désertification et les changements climatiques. Une voie faite de plus d’actions que de discours. Une voie bâtie sur le désintéressement, loin des calculs politiques et pécuniaires. Au-delà de la forêt bâtie, le véritable héritage que nous laisse Yacouba, c’est incontestablement cet appel à l’action pour notre planète. Agir maintenant, sans attendre.
Kissifing Tihouhon Rodrigue HILOU
Sociologue, spécialiste en développement durable