L’insécurité a fait de lui une “personne déplacée interne”, une “PDI”, selon la terminologie utilisée dans le domaine humanitaire. Mais malgré les épreuves et les dangers qu’il a dû surmonter, ce jeune homme, la trentaine bien révolue, a su garder sa passion pour la radio, et son engagement pour les autres déplacés de la crise s’en trouve décuplé. De Kongoussi à Ouagadougou, en passant par Dori, Djibo et Titao, Anselme Abouga a fait de sa voix un outil de résistance et de solidarité.
Il a la radio dans le sang, depuis qu’il a découvert le micro à Pô, sa ville natale, dans la région du Centre-sud du Burkina Faso. Anselme est un animateur radio qui a sillonné le pays, pour travailler au plus près des populations, dans plusieurs stations locales, du Centre-Nord au Sahel, en passant par le Nord. Il a appris à animer des émissions à la radio en 2003, alors qu’il était encore élève, et il n’a jamais cessé de partager sa voix, sa passion, son métier.
Mais son parcours a été marqué par les violences des groupes armés terroristes qui endeuillent le pays des hommes intègres depuis 2015, le contraignant à fuir plusieurs fois son lieu de travail et à se réfugier finalement à Ouagadougou, la capitale burkinabè, où il officie actuellement à la radio Salankoloto.
C’est à Kongoussi, une ville située dans la province du Bam, dans le Centre-Nord du Burkina Faso, qu’il a commencé en 2006 sa carrière, à la radio Voix des Lacs. Pendant sept ans, de 2006 à 2013, il a animé des émissions sur la culture, l’éducation, la santé, l’agriculture, la paix et la citoyenneté.
En 2013, il rejoint Horizon FM de Dori, le chef-lieu de la région du Sahel. Il y a travaillé pendant trois ans, avant d’être recruté en 2016 par la Radio lutte contre la désertification et les changements climatiques (RLCD), une initiative de l’ONG SOS Sahel International Burkina, qui émet depuis Djibo, dans la province du Soum, dans le Nord-Est du pays. Il s’agit d’une radio qui informe les populations de la région sur les enjeux environnementaux et les accompagne dans la mise en œuvre de pratiques durables pour préserver les ressources naturelles.
Un parcours parsemé d’embûches et de dangers
C’est à Djibo qu’Anselme Abouga a été confronté pour la première fois à la menace terroriste, qui a gagné le Burkina Faso à partir de 2015, après avoir sévi au Mali et au Niger voisins. « Le 18 octobre 2018 est une date qui restera gravée dans la mémoire de tous ceux qui ont fait Djibo, et on a compris que la crise est arrivée à un niveau très élevé », nous raconte-il. Ce jour-là, il était à proximité de la gendarmerie de la ville, quand elle a été attaquée par des hommes armés. « Depuis ce jour, on a compris que ce n’est pas facile de vivre dans une telle cette situation », confie-t-il. Mais, il n’était pas loin de ses surprises et angoisses. « Le lendemain, toutes les gares de compagnies de transport étaient remplies. Des gens y ont dormi trois jours pour être programmés pour quitter la ville », se remémore-t-il.
Victime et témoin de plusieurs attaques, Anselme décida aussi de prendre ses jambes à son cou. Malheureusement dans sa fuite, il fut intercepté par un groupe armé. « Ils ont arraché ma motocyclette que je venais juste d’acheter 11 jours auparavant, mais ils ne m’ont pas fait de mal », se souvient-il. Ce jour-là, Anselme a eu la peur de sa vie. « J’ai cru qu’ils allaient me tuer », raconte-t-il avec émotion.
Très passionné du micro, Anselme Abouga en quittant Djibo s’est rendu à Titao, dans la province du Loroum, dans le Nord, où il a intégré la radio La Voix du Loroum, une autre station communautaire. Mais il n’y restera que cinq mois, voyant la situation sécuritaire se dégrader davantage dans la région, avec des attaques récurrentes contre les positions des forces de défense et de sécurité dont l’une jouxtait sa maison. « Il y a eu au moins deux attaques dans cette localité, et j’ai dit à mon chef que je vais rentrer. Car mes parents étaient tous inquiets de ma situation », explique-t-il.
Anselme Abouga a alors pris la direction de Ouagadougou avec sa femme et ses deux enfants, rejoignant les rangs des personnes déplacées internes et laissant derrière lui son micro et ses auditeurs dont il était déjà familier. Mais, l’homme n’a pas renoncé à sa passion. Contre vents et marrées, Anselme a cherché un moyen de continuer à exercer son métier. « Arrivé à Ouagadougou, j’ai fait huit mois sans travail », se souvient-il toujours.
C’est en proposant ses services à plusieurs radios de la capitale qu’il est finalement appelé par Radio Salankoloto juillet 2019 pour effectuer un stage de trois mois, avant d’être embauché.
Un soutien pour les PDI
Anselme Abouga a donc trouvé sa place à Radio Salankoloto, où il présente l’actualité et anime des émissions sur des sujets de société et sur la culture, à travers notamment son programme phare Le Faso 100%. Il parle aussi de la situation des personnes déplacées internes, de leurs besoins, de leurs espoirs, de leurs défis. Sur les antennes, il témoigne de sa propre expérience, de son parcours, de sa résilience. Il donne la parole à ceux qui, comme lui, ont dû fuir leur localité à cause de la violence des groupes armés. Il les encourage à ne pas perdre espoir, à rester solidaires, à croire en l’avenir.
Faisant montre d’abnégation et d’application au travail, il ne tarit pas d’éloges de la part de ses collaborateurs. « Il joue un grand rôle dans la rédaction, au-delà de son talent de grand animateur. Il arrive toujours à combler toutes les tâches qu’on lui confie », témoigne Hamidou Kafando, chef de programmes de la radio Salankoloto.
Anselme Abouga est devenu l’animateur radio qui résiste à l’adversité d’un pays en crise, celui qui réconforte, qui informe, qui divertit et qui rassemble. Au fil des ans, Anselme est devenu un exemple pour les personnes déplacées, mais aussi pour les auditeurs de Radio Salankoloto qui apprécient son professionnalisme. Il nous confie d’ailleurs qu’il reçoit régulièrement des appels et messages des auditeurs déplacés qui ont pu rejoindre leurs localités. Pour cela, il dit féliciter et encourager les forces de défense et de sécurité et leurs supplétifs, les volontaires pour la défense de la patrie, qui mènent le combat au front pour la reconquête du territoire national.
Étant à Ouagadougou, Anselme Abouga n’a pas oublié la région du Sahel qui l’a beaucoup marquée. Il espère pouvoir y retourner un jour quand la paix sera revenue. Il espère pouvoir réaliser son rêve, celui d’implanter une radio dans cette région. En attendant, il continue à faire vivre sa passion, à Ouagadougou, à Radio Salankoloto. Il continue d’être Anselme Abouga, l’animateur radio qui résiste.
Dô DAO
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