La région du Sahel traverse diverses crises depuis quelques années. Aux crises sécuritaire et humanitaire s’est ajoutée une crise institutionnelle, avec notamment l’arrivée de militaires au pouvoir. De quoi raviver le débat sur la forme de gouvernance appropriée pour ces Etats. La démocratie, décriée par une partie des populations, est parfois présentée comme un modèle importé, qui ne siérait pas à l’Afrique. Pour Simon Pierre Douamba, chargé de programmes au Centre pour la gouvernance démocratique, il n’en est rien. Et pour redonner sa place à la démocratie, il suggère la sincérité des acteurs de la gouvernance et le renforcement des institutions. Il a été interrogé par Fasotopia.
Fasotopia : Commençons par le basique. Quelle est votre définition de la démocratie ?
C’est le pouvoir politique qui est choisi par le peuple, qui met, par son fondement, le peuple au cœur de sa gestion et qui respecte la séparation des pouvoirs. Ceux qui sont au pouvoir y sont avec l’onction du peuple et rendent compte au peuple qui les a choisis. On peut retenir qu’il faut un choix libre des dirigeants, des mécanismes de participation à l’élaboration des politiques et des dirigeants qui rendront comptent de leur mise en œuvre. Il faut également un pouvoir où il y a un contrôle à travers cette séparation des pouvoirs.
Il y a beaucoup de préjugés sur la démocratie ces dernières années dans nos pays. Elle est parfois présentée comme contraire aux valeurs africaines. Est-ce une lecture qui tient selon vous ?
Il y a une confusion que les gens font. Ils ne jugent pas la démocratie, mais le comportement des acteurs de la démocratie. Ce qui crée vraiment une confusion. Quand on voit vraiment des acteurs qui font des malversations, qui ne respectent pas leur parole, on dit que la démocratie n’est pas faite pour l’Afrique. Mais quand on va prendre cette question de démocratie avec la séparation des pouvoirs, vous verrez que dans nos traditions, il y a des mécanismes qui font participer les citoyens dans le choix même des dirigeants. Même si dans nos traditions on dit que c’est par héritage qu’on devient chef, il y a un collège qui élit le chef. Celui-ci aussi ne fait pas tout selon son bon vouloir. Il doit consulter ses conseillers. Ces principes qu’on dit européens ne le sont pas en fait. On ne peut pas aujourd’hui dire que la démocratie est un produit importé.
Fasotopia : Cela voudrait-il dire qu’il y a des principes universels de la démocratie et quels sont-ils ?
D’abord la participation des citoyens dans l’élaboration des politiques, des projets et dans la mise en œuvre de ces projets ; La redevabilité qui est un principe qui demande aux dirigeants de rendre compte. C’est comme si on t’a mandaté de faire quelque chose. Ce n’est pas un mandat blanc. Donc tu dois revenir pour rendre compte ; La bonne gouvernance qui résume un peu les éléments que j’ai cités : on t’a donné un mandat, des prérogatives, il faut quand même que tu les gères selon des principes qui permettent qu’on ne remette pas en cause des questions de corruption, des questions de non-respect des droits humains, etc ; Il y a la transparence dans la gestion des affaires publiques et la séparation des pouvoirs. Et qui parle de séparation de pouvoirs parle de contrôle du pouvoir. Je me rappelle le système traditionnel de séparation des pouvoirs dans la région du sud-ouest du Burkina où celui qui tient le couteau n’est pas celui qui est habilité à égorger (l’animal, dans le cadre d’un sacrifice rituel, ndlr). Cela veut dire qu’il y a une complémentarité et un contrôle qui se fait. Et la littérature le dit très bien, si le chef arrivait à enfreindre les règles, on lui demandait de prendre ses responsabilités. Puisque, très souvent, le chef ne démissionne pas, il va devoir se donner la mort. Donc il y a un contrôle qui est fait pas d’autres acteurs qui ne sont pas ceux qui dirigent.
Fasotopia : On a l’impression que la démocratie est à la croisée des chemins dans nos pays du Sahel, avec l’avènement des r. Comment renouer avec ces principes démocratiques ?
Il y a un problème de fond avant même de renouer avec les principes de la démocratie. C’est de demander même aux acteurs qui interviennent au niveau de la scène politique aujourd’hui, qui viennent avec des armes, de ne pas intervenir sur le champ politique. Ce qui va permettre aux acteurs politiques et à l’ensemble des acteurs de la gouvernance de mettre ensemble des mécanismes qui puissent rendre responsables ceux qui dirigent. Si on avait les mécanismes qui peuvent déchoir un président quand il n’allait pas respecter ses engagements, on n’aurait pas recours aux coups d’états. Il y a des enquêtes qui nous disent que c’est le mot démocratie qui pose problème. C’est quand on parle de la démocratie que les gens ont un problème, mais quand on parle des principes de la démocratie les gens veulent vivre libres, participer, être associés, … Donc ils veulent ces principes là, mais c’est la démocratie dans sa manière qui semble ne s’intéresser qu’aux élections qui fait qu’on refuse cette démocratie ; Il faut donc travailler à avoir des acteurs politiques crédibles. Et ces acteurs crédibles ne peuvent venir d’ailleurs. Ce sont nos textes qui peuvent les amener à être crédibles.
Fasotopia : D’aucuns diront que ce ne sont pas les textes qui manquent…
C’est parce qu’on n’a pas de bons textes, ainsi que des gardiens de ces textes là ; Si des gens sont prêts à défendre ces textes, je veux parler du Conseil constitutionnel, les gens ne vont pas continuer à les piétiner. Quand vous prenez ces textes, il y a des sanctions qui sont prévues en cas de violation. Malheureusement les plus forts taillent toujours les textes en leur faveur, quelle que soit la période, démocratique, révolutionnaire ou autre. De ce point de vue, je peux être d’accord que cela peut ne pas être uniquement une question de textes, mais aussi une question d’interprétation, une question d’opportunisme à un moment donné, parce que ce qu’on refusait hier par les textes, on l’accepte aujourd’hui par les textes. Il faut qu’on se remette en cause, nous, en tant qu’acteurs de la démocratie et de développement.
Fasotopia : Puisqu’on parle de textes, le texte fondamental d’une République, c’est la Constitution. Le Burkina est en Transition, mais le retour à l’ordre constitutionnel ne semble pas être la priorité. Certaines voix réclament un nouveau consensus autour de cette question. Quelle serait le meilleur consensus selon vous ?
C’est la sincérité des acteurs. La charte de la Transition mentionne l’organisation d’élections avec un retour à l’ordre constitutionnel comme l’un de ses axes. Ce sont les mêmes acteurs qui l’ont mis et qui l’ont accepté. Si aujourd’hui, des questions pratiques nous amènent à ne pas pouvoir respecter ces engagements, il faudrait faire encore appel aux acteurs pour qu’on puisse en discuter. Mais là où je trouve qu’il y a une difficulté, c’est qu’on refuse même qu’on en parle. C’est comme si c’était quelque chose qui est inventé par d’autres acteurs. Non, c’est écrit. Si on devait évaluer, on devrait évaluer sur tous les cinq points de la Charte. Il faut également une neutralité dans la conduite de ces débats ? Parce que si ce sont des débats pour consolider des pouvoirs qui sont déjà là, ou pour faire tomber certains et les faire remplacer par d’autres, on aura des difficultés. Le Mali a pris une nouvelle constitution et quand vous regardez à l’intérieur, on criminalise le coup d’état. Donc on veut l’ordre démocratique, mais au même moment, on demande aux autres de ne pas le réclamer et on ne veut pas non plus partir aux élections. Quel est maintenant le mode d’accession au pouvoir que nous, Burkinabè, souhaitons ? Pour moi, c’est un débat qui doit se faire.
Fasotopia : Vous parlez de la qualité des textes, mais aussi de celle des hommes, puisque vous parlez de sincérité. Mais quels garde-fous pourrait-on mettre en place, puisqu’on ne peut pas présumer de la bonne foi des gens à priori ?
Les deux vont de pair. D’abord il nous faut des textes qui montrent les règles du jeu démocratique. Ces mêmes règles vont montrer les mécanismes de contrôle du respect de ces règles. Parce que quelle que soit la beauté d’un texte, si les hommes décident aujourd’hui de les bafouer, ils vont le faire également. Mais qu’est-ce qu’on fait pour trouver le juste milieu pour que les textes puissent être au-dessus de la volonté des individus ? Pour moi la question sur laquelle on doit travailler est celle-là : renforcer les institutions de sorte que même s’il y a un problème, que des individus n’arrivent pas à se mettre au-dessus des institutions.
Fasotopia : Quel avenir voyez-vous alors pour la démocratie au cours des années à venir ?
C’est un long chantier. D’abord il faut une remise en cause des acteurs de la démocratie, parce que nous avons eu affaire à une démocratie des élites, qui ne prend pas en compte les aspirations des masses. Les textes ont été écrits sans une forte participation des acteurs. Un autre élément est de réfléchir sur le rôle de l’armée dans nos Etats. Est-ce qu’on doit ouvrir pour que les militaires puissent aussi faire de la politique comme les autres acteurs ? Là on n’a plus besoin qu’on atteigne des coups d’état. Ou bien on décide qu’on respecte les textes, que le rôle de l’armée c’est la défense, et qu’elle reste à sa place. Que la société civile aussi reste à sa place, pour qu’on ait une démocratie qui répond aux populations. Nous devons trouver également des moyens de faire comprendre aux populations que la démocratie n’est pas un produit importé. C’est un travail de déconstruction de ce qu’on veut nous faire accepter, comme quoi en tant qu’Africains nous ne méritons pas la démocratie ou qu’on ne peut pas aller au développement avec la démocratie, mais plutôt la dictature. Il faut de la rigueur certes, mais une rigueur basée sur les textes. Et nous avons le pouvoir de voter ces textes. Des fois je pose la question : où est-ce qu’on vote les lois ? C’est à l’Assemblée nationale. Est-ce que ce sont des Chinois, des Russes, des Français qui viennent voter ? Non, ce sont des Burkinabè. Donc si nous pensons que ces textes ne sont pas adaptés, c’est à nous de leur donner le contenu que nous souhaitons. Il faut également qu’en tant qu’Africains, on se dise que dans ce monde il y a des intérêts géopolitiques où la déstabilisation de nos Etats est à la faveur de beaucoup de puissances, même insoupçonnées. Il faut avoir une vision plus large quand il s’agit d’analyser ces éléments et se dire que si à chaque fois on doit aller de déstabilisation en déstabilisation, il y a de la fracture sociale au niveau militaire et au niveau civil qui ne pourra pas nous amener vers le développement.
Fasotopia : Et avez-vous bon espoir qu’on pourra reprendre bientôt le chemin de la démocratie ?
On va reprendre. Parce que si déjà les pays (en Transition, ndlr) qui ont adopté une nouvelle constitution remettent la démocratie comme étant le mode de gestion du pouvoir, les autres vont arriver à cela. Il y aura des étapes. Il y aura un moment où on va se parler et on va repartir vers la démocratie. Sûrement quand les gens vont savoir qu’il n’y a pas réellement un lien direct entre démocratie et insécurité ou entre révolution et sécurité, on va s’asseoir et repartir sur de bonnes bases.
Fasotopia
Les cinq missions principales assignées à la Transition par la Charte du 14 octobre 2022 :
- rétablir et renforcer la sécurité sur l’ensemble du territoire national ; apporter une réponse urgente, efficace et efficiente à la crise humanitaire ;
- promouvoir la bonne gouvernance et la lutte contre la corruption ;
- engager des réformes politiques, administratives et institutionnelles en vue de renforcer la culture démocratique et consolider l’Etat de droit ;
- œuvrer à la réconciliation nationale et à la cohésion sociale ;
- assurer l’organisation d’élections libres, transparentes, équitables et inclusives